AL - YA´QŪBĪ

Al-Yaʿqūbī (mort en 898) était un fonctionnaire abbasside originaire de ce qui est aujourd'hui l'Irak. Connu pour son travail Kitāb al-Buldān, une géographie descriptive du monde dans le sous-genre du voyage appelé en arabe « al-Masālik wal-Mamālik »[1], c'est-à-dire « des routes et des royaumes ».

Dans un chapitre de son Kitāb al-Buldān intitulé « Ŷazīrat al-Andalus wa mudunu-ha » (La péninsule d'Al-Andalus et ses villes), il consacre un contenu étendu à cette zone géographique, qui est aussi la première nouvelle que nous ayons de Al-Andalus en tant que péninsule d'origine largement arabo-orientale[2].​

Copie manuscrite médiévale du Kitāb al-Buldān d'Al-Yaʿqūbī. Source : Wikipédia /CC

Même s'il ne mentionne pas les distances, il mentionne les lieux géographiques, les habitants et les itinéraires.

Il commence son récit en nous racontant que, pour atteindre le pays de Tudmir[3], en Al-Andalus, il mentionne Tanas, au Maghreb, comme la meilleure origine. Dans la chora de Tudmir, il mentionne deux villes appelées al-ʿAskar (Huéscar ?) et Lorca.

Le voyage continue ensuite dans l'ordre des itinéraires à travers Cordoue, Elvira, Rayya[4], Sidonia, Algésiras, Séville, Niebla, Beja, Lisbonne, Ocsobona[5], Mérida, Jaén, Tolède, Guadalajara, Saragosse, Tudela, Huesca, Tortosa et Valence.

Elle nous renseigne sur les limites de ces royaumes : Par exemple, Mérida le fait avec le « pays des idolâtres »[6] (Ard ash-Shirq) qui étaient à cette époque les jaqāliya ou « Galiciens », nom générique des Peuple asturien et Léonais. De son côté, Tudela borde un autre territoire au nord, celui des « al-baskῡnūn », clairement les Basques.

Huesca est frontalière avec le territoire des Francs (al-Afranch ou Afranŷ) et avec l'un des groupes de ce peuple, les "al-Yāsqas" (ceux de Huesca ?).

Enfin, il nous parle de quelques fleuves péninsulaires déjà connus à l'Est : Le Nahr Qurtuba ou « Fleuve de Cordoue » (actuel Guadalquivir), le Nahr ʿAzīm qui traverse Mérida (le Guadiana), le Duwayr (le Duero), qu'il place par erreur à Tolède, l'Abruh (Èbre) et le Shakr (Júcar).

AL-ISTAJRĪ

Un siècle plus tard, au milieu du Xe siècle, nous disposons des descriptions données par le géographe et voyageur d'origine persane ou arabe Al-Istajrī (mort en 957), qui sont une véritable mine d'informations très détaillées sur les populations et habitants d'Al-Andalus. De plus, ce géographe, même s'il n'était pas en Al-Andalus, est une source très fiable puisqu'il a interviewé des sages, des marchands et des pèlerins musulmans d'origine hispanique qui traversaient les terres orientales sur les coutumes, les habitants, le gouvernement, le système militaire et l'Andalousie. culture opposant ses sources orientales aux sources orales de ces Andalous qu'il a interrogés.

Dans son ouvrage, il fait allusion aux villes déjà mentionnées par Al-Ya´qūbī auxquelles il ajoute les coras ou provinces de Fahs al-Ballῡt (Vallée des Pedroches), Santarém, Elvira et Rayya[7]. Il mentionne également d'autres villes qui n'apparaissent pas auparavant, comme Pechina (Bayyana, près d'Almería actuelle).

Il nous rapporte également la nouvelle du soulèvement d'Ibn Hafsūn, que Tolède et Ceuta n'avaient pas de gouverneur (ʿĀmil) bien qu'ils prononçaient la khutba (ou sermon du vendredi) au nom du calife omeyyade de Cordoue.​

Dirhem en argent frappé à Médina Azahara sous Abd al-Rahmān III. Source photo : Wikipédia /CC

En ce qui concerne l'économie, on distingue la production de soie à Elvira, d'or et d'argent à Elvira et Murcie, de peaux de zibeline à Tudela et d'ambre à Santarém.

Vient maintenant la donnée qui nous intéresse le plus, les habitants.

Al-Istajrī nous parle également des chrétiens et des Berbères en plus des Arabes.

Concernant les royaumes chrétiens, suivant en partie Al-Ya´qūbī, il nous situe vers 950 la frontière médiane (ath-thagr) avec le royaume de León dans les régions qui comprennent les villes de Mérida, Nafza (Basques ?)[ 8], Guadalajara et Tolède, nous savons donc que la limite andalouse maximale se trouvait dans ce qui est aujourd'hui le Système Central, qui était protégé par un réseau de tours de guet encore visibles aujourd'hui dans le nord de la Région de Madrid.

Al-Istajrī décrit quelques villes chrétiennes telles que Sammῡra (Zamora) et Ubīt (Oviedo) où réside le plus grand des dirigeants asturiens-léonais (ʿAzīm al-ŷalāliqa).

Puis il parle d'autres peuples chrétiens infidèles (asnāf al-kufr) : les Francs ou Ifranya ou Ifranja dont le roi s'appelle Qārluh (Charlemagne ?), les ŷalāliqa « Galiciens » précités (générique pour les Galiciens et les Asturies), les al-baskῡnis ou les Basques qu'il considère comme les plus aguerris et les ʿalyaskas, peuples chrétiens de la région de Huesca, entre les Francs et Al-Andalus et peu hostiles.

La péninsule ibérique vers 912 au moment de l'avènement de ʿAbd al-Rahmān III et principales sources de rébellion contre l'autorité de l'émir. On voit ici la limite maximale de l'émirat, puis du califat, d'Al-Andalus et des principales villes péninsulaires chrétiennes et musulmanes mentionnées dans l'article (Source photo : Wikipédia /CC)

Après avoir dressé un profil complet de la population berbère du Maghreb, al-Istajrī mentionne deux branches : le BUTR, composé des sous-tribus Nafza, Miknāsa, Hawwāra et Madyῡna et le BARĀNIS, composé des Zanāta, Masmῡda, Malīla et Sinhaya. .

Ces derniers seraient arrivés en Al-Andalus en accompagnant les Arabes lors des premières migrations berbères du VIIIe siècle. Le reste des tribus est venu plus tard.

En parlant d'Al-Andalus, Al-Istajrī nous raconte comment les différentes tribus berbères étaient réparties dans toute la péninsule : Pour citer deux cas, il cite les Nafza et les Sinhaya qui se trouvaient à la frontière entre le royaume asturien-léonais (al-jalāliqa) ou les Hawwāra qui se trouvaient dans la région de Santaver (Teruel).

Routes, tours de guet et fortifications à la Mi-Marche du Xe siècle. Ici apparaît la ville de Maŷrīt, aujourd'hui Madrid. (Source photo : Pinterest. Crédits à l'auteur)

MUHAMMAD ABŪ-L QASĪM IBN HAWQAL

Voyageur infatigable à travers l'Orient et la Méditerranée au service des Fatimides, rivaux des Omeyyades de Cordoue, il aurait travaillé comme espion à leur service et se serait rendu en 948 dans la péninsule ibérique à l'époque de ʿAbd al- Rahman III. Il écrit son Kitāb Surat al-Ard dans le cadre du genre littéraire susmentionné d'al-Masalik wa-l-Mamalik où Al-Andalus et le Maghreb sont mentionnés, entre autres.

Il laisse un intéressant témoignage de première main sur la société militaire andalouse aux alentours du Xe siècle. Il souligne comme aspects négatifs son manque de valeurs chevaleresques, même s'il reconnaît qu'ils sont amis des embuscades et des ruses, qui chevauchent sans étriers[9] et "à cru" à cheval, peur de tomber et de perdre l'équilibre. Il nous dit qu'il y a environ 5 000 cavaliers qui, même s'ils semblent peu nombreux, garantissent la sécurité et surtout le fonctionnement de ces tours de guet et de ces châteaux arabes à la frontière du Système Central.

Au contraire, il décrit la beauté des paysages de Cordoue, qu'il compare à Bagdad et à la ville palatine de Medina Azahara. Il met également en valeur le style de vie luxueux qu'il a vu parmi ses habitants des milieux urbains, le commerce et l'artisanat florissants, ainsi que les produits cultivés et les coutumes andalouses.

BIBLIOGRAPHIE UTILISÉE

CORNU, G. (1986). « Les géographes orientés des IX et X siècles et al-Andalus ». Sharq al-Andalus, 3, pp.11-38

IBN HAWQAL (1971). Configuration du monde. Fragments faisant allusion à Mogreb et à l'Espagne. Traduction et index par María José Romaní Suay. Valence, Anubar, 1971 ; p. 60-70 (Disponible sur : anubar.com/coltm/pdf/TM 26 Ibn Hawkal Configuration of the world.pdf) [Consulté le 6/2/2024]

GARCÍA GOMEZ, Emilio et VALLVÉ, Julio. (1989) : Nouvelles idées sur la conquête arabe de l'Espagne : toponymie et onomastique. Académie royale d'histoire. 1989.

GARCÍA SANJUAN, Alejandro (2009). « La caractérisation d'al-Andalus dans les textes géographiques arabes orientaux (IXe-XVe siècles) » dans Norba. Magazine d'Histoire (N° 19/2006) ; p. 43-59

MARTINEZ AMOUREUX, Virgilio (2009). "Rayya et Archidona, une relation bien établie dans tout l'Émirat de Cordoue." Rayya. Revue de Recherche Historique de la Région Nord-Est de Malaga (N° 5/2009). Institut du patrimoine Archidona ; p. 13-31

MARTOS QUESADA, Juan (2022). Historiographie andalouse. Manuel des sources arabes pour l'histoire d'al-Andalus. VoI et Vol.II Collection Al-Andalus, nº1. Université d'Estrémadure et Service des Publications Société Espagnole d'Études Médiévales.

MANZANO, Eduardo (2006) : Conquérants, émirs et califes : les Omeyyades et la formation d'al-Andalus, Barcelone, ​​Crítica.

MANZANO, Eduardo (1991) : La frontière d'al-Andalus au temps des Omeyyades. SCCI.

MANZANO RODRIGUEZ (2021). « Approche d'une géographie synoptique d'al-Andalus : le Taqwīm al-buldān d'Abū l-Fida' (d. 732/1331) » dans Patrimoine andalou : culture, documents et paysage (Editorial Universidad de Sevilla), pp. 197-216

RESSOURCES WEB

A propos de Vascos (Tolède) : Ville de Vascos, fief des Omeyyades sur les terres de Tulaytula. | TulayTula

[1] Le genre que l’on peut traduire aujourd’hui par « littérature de voyage » serait un mélange de littérature de voyage, de données encyclopédiques et de guides. Le nom vient de l'ouvrage Kitāb al-Masālik wa al-Malāmik, persan Al-Jurdadbah, considéré comme le pionnier de la géographie descriptive dans le monde islamique.

[2] Il existe une première mention très brève d’Al-Andalus donnée par le géographe persan Al-Jurdadbah dans l’ouvrage cité en note 1.

[3] Le cœur de Tudmir correspondait aux territoires du sud-est espagnol dans la zone actuellement occupée par Murcie, Alicante et Albacete. Elle doit son nom, Tudmir, à Teodomiro, un noble wisigoth du VIIIe siècle qui dirigeait cette région de manière autonome grâce à un pacte de soumission bien connu. Voir dans ce même Blog l'entrée : TEODOMIRO, LE NOBLE VISIGOTH QUI A DONNÉ NOM À UNE RÉGION (lacasadelrecreador.com)

[4] Rayya était une ville peut-être située à proximité d'Archidona (Málaga) selon Virgilio Martínez Enamorado qui formait une cora ou une démarcation. Voir : MARTINEZ AMOUREUX, Virgilio (2009). "Rayya et Archidona, une relation bien établie dans tout l'Émirat de Cordoue." Rayya. Revue de recherche historique de la région nord-est de Malaga 5 : 13-31 (2009). Institut du patrimoine Archidona

[5]Cora ou province de l'actuelle Algarve portugaise dont Silves était la capitale. À l'époque de ʿAbd al-Rahmān III, elle jouissait d'un statut autonome grâce à un impôt annuel qu'elle payait.

[6] Aussi, « polythéiste », en référence au fait que les chrétiens adoraient trois dieux sous un même Dieu et au culte des images qu'ils faisaient de leurs divinités et de leurs saints hommes, ce que l'Islam rejette catégoriquement.

[7] Village proche d'Archidona (Málaga).

[8] Peut-être apparue comme une ville au 19ème siècle ou IX, certains pensent qu'elle est antérieure, fondée par un groupe de Berbères dès le VIIIe siècle à partir d'anciennes ruines protohistoriques ou romaines sur lesquelles ils ont construit une citadelle. Les théories sur son origine sont partagées entre historiens et arabisants, les uns affirmant qu'il proviendrait d'un toponyme berbère, Nafza (qui indiquerait la tribu qui l'a fondé), et d'autres l'identifiant à un certain Al-Basak, démarcation du Talavera cora de la Reine. Ce fut une ville toujours fidèle aux Omeyyades contre la rebelle Tolède, peut-être en raison de l'affiliation du premier émir d'Al-Andalus, ʿAbd al-Rahmān Ier, fils d'une femme berbère Nafza. On estime qu’à l’époque de sa splendeur maximale, elle comptait 3 000 habitants. Pour plus d'informations voir : Ville des Basques, fief des Omeyyades sur les terres de Tulaytula. | TulayTula

[9] Cependant, nous avons le témoignage des Bienheureux que l'étrier était déjà connu en Al-Andalus et peut-être même avant, avec l'arrivée des Arabes dans la péninsule, puisqu'au Moyen-Orient nous avons des peintures qui le représentent dans le Palais omeyyades.

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